Un film de David Lynch
Résumé
Un violent accident de voiture sur la route de Mulholland Drive sauve une femme de ses poursuivants. Hagarde, la belle s’enfonce dans la nature et se réfugie dans une demeure inoccupée. Le lendemain, Betty Elms débarque à l’aéroport de Los Angeles. Actrice, elle compte bien devenir une star, et sa tante, partie sur un tournage, lui prête son appartement. Dans la salle de bains, Betty découvre avec surprise l’accidentée, terrée et terrifiée. Prise de compassion pour l’infortunée, qui se révèle amnésique, elle décide de l’héberger tout en l’aidant à retrouver peu à peu des bribes de son passé. Leurs seuls indices résident dans un sac rempli d’argent et une mystérieuse clé bleue…
L’inquiétante étrangeté
Mulholland drive, sorti sur les écrans en 2001, est le 9ème film de David Lynch, son avant-dernier avant l’échec d’Inland Empire et son éloignement progressif des plateaux de cinéma.
Schématiquement, on peut distinguer deux grandes phases dans la filmographie du cinéaste, dont la ligne de démarcation est Twin Peaks (la série et le film). Pour la première période (hormis Eraserhead) les films sont relativement « classiques », avec une narration plus ou moins linéaire, à tout le moins basée sur un scénario accessible. A partir de Lost Highway, tout se brouille et l’œuvre lynchienne prend une autre dimension. Ses films deviennent alors des expériences sensorielles et visuelles (avec une autre exception, Une histoire vraie), sortes de puzzles mentaux dont les pièces ne s’accordent pas totalement.
C’est bien évidemment le cas de Mulholland drive, dont la vision suscite fascination et perplexité. Fascination devant la puissance et la beauté de la mécanique filmique orchestrée par Lynch (mise en scène délicate, bande son envoutante, lumière hypnotique), qui plonge le spectateur dans une sorte d’état second délicieux. Perplexité devant un scénario à tiroirs, piochant autant chez Hitchcock (Vertigo) que chez Bergman (Persona) et dont l’opacité renforce la sensation de sidération.
Prix de la mise en scène à Cannes et succès critique international, Mulholland drive se lit comme la quintessence de l’univers lynchien et rend palpable l’inquiétante étrangeté chère à Freud.
Fiche technique

- Titre original : Mulholland dr.
- Durée : 2h26
- Réalisateur : David Lynch
- Pays d’origine : USA
- Distribution : Naomi Watts – Laura Harring – Jeanne Bates – Robert Forster
- Date de sortie : 2001
- Genre : thriller dramatique
Plan culte (Hommage à David Lynch)
Séance : Jeudi 23 janvier à 19h30 (Cinéma Artplexe)


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Critique du Poulpe (par Séraphin)
Silence, pleurons.
Mulholland drive démarre, après un intrigant prologue s’apparentant à un clip, avec des plans de nuit sur une voiture de luxe avec une femme brune côté passager (Rita). Accélération, le chauffeur s’arrête et menace Rita avec un flingue, prêt à la descendre. Rita survit puisque la voiture se fait percuter mais elle se réveille sans mémoire.
On se dit que l’intrigue est mise en place, qu’il n’y a plus qu’à suivre le dénouement. Non. Nouvelle intrigue avec un nouveau personnage. Nous voyons une femme blonde (Betty) qui sort d’un avion venant d’atterrir en Californie. Elle veut devenir actrice. C’est un second départ pour le film, aussi opposé au premier que le sont les deux femmes : Rita la brune couverte de zones d’ombre et Betty la blonde solaire. L’une a perdu son identité, l’autre veut gagner la sienne. Un passé mystérieux et un avenir incertain. Personnage de film noir et héroïne de comédie dramatique.
Les deux destinés vont alors s’entrechoquer. Rita trouve refuge dans un appartement vide, le même où s’installe Betty. Le film, quand elles sont réunies, oscille entre les deux intrigues : Betty intègre le monde hollywoodien, casting après casting, tout en enquêtant sur le passé de Rita pour l’aider à retrouver sa mémoire.

L’enjeu du film se place dans la volonté de faire tenir ces deux histoires et ces deux personnages ensemble. La première moitié le montre très bien avec pour conclusion l’intense scène d’amour entre les deux femmes. La deuxième partie est plus vertigineuse tant elle est complexe dans sa déconstruction des éléments mis en place. Ce qui motive David Lynch c’est l’impossibilité de fusionner en un tout les parties hétérogènes qui le composent. C’est l’espace intermédiaire entre ces deux pôles représentés par Rita et Betty. Il navigue entre ces deux pôles.
Pour la première fois dans sa carrière de cinéaste indépendant, Lynch place le cinéma au centre de son film et Mulholland drive s’inscrit ainsi dans les grandes œuvres de ce genre historique. Hollywood pour Lynch, c’est le pinacle de l’atmosphère américaine qu’il décrit comme ambivalent Blue Velvet (1986) ou Twin Peaks (1990). Hollywood est le lieu où l’Amérique façonne l’image qu’elle a envie de refléter sur le monde, dans un processus tout à fait narcissique. Betty est le modèle typique que recherche Hollywood et ce n’est pas un hasard si sa réussite est instantanée dès le premier casting, puisque elle est à la fois elle-même et l’image d’elle-même. Au-delà de l’Amérique, c’est le cinéma qui se dédouble sous nos yeux, avec sa face positive (Betty) et sa face négative et inconsciente (Rita, qui pénètre le monde du cinéma)
Un plan subjectif, du point de vue de Rita, nous montre la ville illuminée qui se prolonge au pied de la colline d’Hollywood, lieu de l’accident. Au lieu de marcher le long de la route, Rita préfère descendre à travers les fougères et les broussailles. Cette morte-vivante qui rentre littéralement dans l’image s’apparente à un fantôme prêt à hanter le cinéma. Cette marche la mène sur Sunset Boulevard, pattern mythique de l’imagerie hollywoodienne. Enfin, lorsqu’elle doit donner son patronyme à Betty, c’est celui d’une actrice, inscrit sur l’affiche de Gilda qu’elle a sous les yeux, à laquelle elle s’identifiera : Rita Hayworth.
Ce que filme David Lynch dans Mulholland Drive, c’est principalement le monde souterrain et il veut montrer ainsi ce qu’il y a sous la surface des choses. Il cherche, à chaque plan, à obtenir une coupe latérale des objets et des personnages qui peuplent son film et crée ainsi une névrose psychologique pour chaque personnalité.

L’éclatement régulier de la narration ajouté à la répartition des nombreuses obsessions hallucinatoires rendent complexe l’analyse formelle. On peut penser que Lynch appuie sa puissance subjective lorsqu’il traite de la gangrène névrotique américaine pour pouvoir mettre en image un certain cauchemar, mais il y a aussi un réel travail expérimental. Lynch souhaite sortir de la construction scénaristique classique avec sa structure logique et son principe explicatif. Mulholland Drive délivre un éclatement et une altération de la représentation des sentiments mouvants, qui s’expriment sur le territoire de l’amnésie.
David Lynch est entré dans l’histoire du cinéma pour ces raisons. Il s’agit avant tout d’un cinéaste qui fût perpétuellement dans un processus de recherche, qui expérimentait tout types d’agencements créant à chaque fois un nouvel objet du cinéma contemporain.
Il n’est pas obligatoire de comprendre Lynch pour aimer son travail. Ce qu’il faut, c’est rêver et Lynch nous aura bien fait rêver. Et maintenant nous le pleurons.





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