L’INSPECTEUR HARRY

5–8 minutes

Article écrit par :

Un film de Don Siegel

Résumé

A San Francisco, un tireur isolé abat froidement une jeune femme. L’homme, qui se fait appeler Scorpio, menace les autorités de tuer un innocent par jour jusqu’à ce que la rançon qu’il exige lui soit versée. Le maire accède à sa demande. Harry Callahan, un policier bien connu pour ses opinions vigoureusement anticonformistes et son goût de la violence, est décidé à mettre fin aux activités de Scorpio, quel qu’en soit le prix.

Quand Harry rencontre Clint

À la fin des années 60, après les westerns spaghettis de Sergio Leone qui l’ont consacré, Clint Eastwood enchaîne davantage de films de commande que de films d’auteur. Mais en 1971, tout bascule et trois long-métrages fondateurs sortent sur les écrans. Son premier en tant que réalisateur (Un frisson dans la nuit) et deux films de son mentor Don Siegel, Les proies et L’inspecteur Harry. C’est à partir de là que prend corps le personnage Eastwoodien qui structurera toute sa filmographie, mélange de virilité et de fragilité, de misanthropie et d’humanisme.

Dans L’inspecteur Harry c’est bien évidemment la face sombre qui est mise en avant avec ce personnage machiste et violent, à tel point que certains critiques américains n’hésiteront pas à taxer le film de fachiste. Accusation ridicule et sans fondement tant Eastwood est à l’opposé de cette idéologie simpliste (même s’il n’a jamais caché ses opinions conservatrices).

En définitive, l’inspecteur Harry est davantage le symptôme d’une époque, celle d’un pays rongé par la violence et en proie au doute, qui solde ses comptes avec les utopies des années 60 (Le tueur psychopathe porte les cheveux longs et une ceinture avec le sigle « Peace and love »).

Un propos iconoclaste et volontairement provocateur, porté par la mise en scène efficace et sans concession de Don Siegel, qui utilise magistralement les décors urbains de San-Francisco (ville symbole de la contre-culture). Il arrive ainsi à transcender un scénario assez sommaire et fait de « dirty » Harry un personnage ambigu et complexe. Une nouvelle figure du héros américain, rebelle, solitaire et asocial, qui annonce, entre autres, Snake Plissken et John Mc Lane. Le film fut un triomphe au box-office et permit à Clint Eastwood de forger son statut de légende à Hollywood.

Fiche technique

  • Titre original : Dirty Harry
  • Durée : 1h38
  • Réalisateur : Don Siegel
  • Pays d’origine : USA
  • Distribution : Clint Eastwood – Andrew Robinson – Harry Guardino – Reni Santoni – John Vernon
  • Date de sortie : 1971
  • Genre : Policier

Plan culte

Séance : Mardi 28 janvier à 19h30 (Cinéma Artplexe)

Recommandations

  • Robocop
  • Une journée en enfer (Die hard 3)
  • Training day
  • Demolition man
  • Bonnie and Clyde
  • French connection
  • Sueurs froides
  • Fenêtre sur cour
  • Serpico
  • Donnie Brasco
  • Zodiac
  • Impitoyable
  • New-York 1997

Critique du Poulpe (par Séraphin)

Pas facho mais très fâché

En 1971, L’inspecteur Harry pose les bases de ce que deviendra le film policier moderne. Clint Eastwood (aka Harry Callahan) est un cynique, un électron libre très peu procédurier et jouant lui-même avec les limites de la légalité. La réputation du film est celle d’un film d’action divertissant et d’un vilain morceau de propagande fasciste : Harry se fiche éperdument des droits civiques, et le film ne le punit jamais pour cela. 

Soyons honnête, il est compliqué de ne pas trouver Harry cool. Un civil est sur le point de sauter d’un immeuble ? On envoie l’inspecteur Harry qui lui met une droite dans la tronche et le sauve. Un flic explique à un novice qu’on le surnomme Dirty Harry parce qu’il déteste tout le monde ? Il quitte la pièce avec un sourire en coin et un clin d’œil. Harry ne cesse d’osciller entre charisme cool et air menaçant, voire glaçant. Comme lors de sa période western spaghetti, Eastwood campe un personnage principalement monstrueux mais captivant, presque magnétique. Ce charisme cool et cette monstruosité sont-elles en tension l’une avec l’autre, ou sont-elles une seule et même chose ? Le film juge-t-il les actions de Harry comme horribles ? 

Les grands critiques américains n’ont pas été tendres avec le film à l’époque. Pauline Kael et Roger Ebert l’ont qualifié de fasciste (ce dernier lui donnant paradoxalement trois étoiles sur quatre) tandis que Gene Siskel l’a qualifié de dangereux. Et si L’inspecteur Harry n’appartient pas à la catégorie de films où le point de vue du personnage immoral est si évident, ce n’est pas non plus une satire mal comprise. Finalement, il est même logique d’associer le fascisme à ce personnage, qui mène des actions affreuses, comme la torture extrajudiciaire, et qu’on nous montre tout de même comme cool. Seulement, L’inspecteur Harry n’est pas un argument politique, c’est un film. 

Vous me direz que tout art est politique. Oui. Mais, comme le disait Costa-Gavras, si tous les films sont politiques, tous les films ne sont pas partisans. Ainsi, L’inspecteur Harry ne promulgue aucunement le fascisme, même s’il ne faut absolument pas exclure la lecture pro-torture et pro-police du film. Les sujets traités le sont avec une attitude définie par l’ambivalence, l’anxiété et un mélange lugubre de dégoût et d’intrigue.

La longue séquence de la traque du Scorpion par Callahan illustre parfaitement cette ambivalence. Le tueur en série a kidnappé une adolescente qu’il menace de tuer, sauf si la ville lui verse 200 000 dollars. Harry, accompagné de loin par son adjoint Chico, est chargé de livrer l’argent. Après une course poursuite haletante, tous les deux sont pris dans un guet-apens organisé par le Scorpion, Chico gravement blessé et Harry salement amoché. Mais ce dernier réussit à planter un couteau dans la jambe du Scorpion, qui se déplace en boitant et doit se faire soigner. Harry mène l’enquête, qui le mène vers le stade Kezar de San Francisco, où se terre le tueur. Il le retrouve rapidement et le torture pour le faire avouer, tandis que le Scorpion implore sa clémence, un avocat ainsi qu’une vie sauve. La caméra s’éloigne alors en hauteur jusqu’à ce qu’ils soient de minuscules points sur le terrain de football, comme si le réalisateur voulait nous épargner la vision de cette acte de violence en apparence nécessaire. 

Seulement voilà, la fille est déjà morte et Harry le sait depuis le début (C’est même la première chose qu’il dit lorsque la mairie reçoit la demande de rançon). On comprend alors qu’il voulait juste faire souffrir cette ordure, car il aime la violence. C’est l’un des motifs les plus marquants du film : savoir s’il existe une différence significative entre Harry et le Scorpion, à part le badge.

La séquence suivante enfonce le clou. Le Scorpion finit libre, parce que les preuves obtenues par la torture et les perquisitions illégales sont irrecevables. Lorsque Harry est mis au courant, il s’indigne que l’on puisse défendre les droits du truand et non ceux de la jeune fille : « Et ses droits à elle ? ». Harry joue la carte du justicier populaire, avec un discours qui dit que respecter les droits des criminels est un déni de ceux des victimes. Pour autant, il n’essaie pas de défendre les droits de la jeune fille puisqu’il la sait morte. Lorsqu’il demande qui parle en son nom, la réprimande est rapide : « Le bureau du procureur, si vous nous laissez faire. » Mais justement Harry n’a pas le temps de les laisser faire, il connaît les institutions et leur administration chronophage, trop lente selon ses critères.

En définitive, et si Harry Callahan était un anarchiste plutôt qu’un fasciste ?  Un caractère autoritaire mais qui se place contre les autorités officielles et dont la valeur principale est la liberté individuelle. Flic solitaire issu du peuple, rétif à l’autorité, à l’injustice, à la bureaucratie, aux politiques, Harry n’a ni Dieu ni Maître.

Laisser un commentaire