DARK STAR

8–12 minutes

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Un film de John Carpenter

Résumé

« Dark Star » est un vaisseau spatial chargé de détruire les planètes qui encombrent le système solaire. Alors qu’il s’apprête à lancer une nouvelle bombe, une avarie se produit.

Première étoile

Les fans du maître de l’horreur John Carpenter ont souvent tendance à défendre envers et contre tout son cinéma, y compris ses œuvres les plus controversées ou les plus faiblardes (comme Los Angeles 2013 ou Ghosts of Mars). Mais il y a quand même deux films qui suscitent de sérieuses réserves, son dernier, The ward sorti en 2011 et son premier, Dark Star, qui date lui de 1974.

Sur le papier pourtant, ce premier opus coche toutes les cases d’un début prometteur. Avec Dan O’Bannon (futur scénariste d’Alien) au scénario et au montage et Carpenter à la réalisation et à la musique, Dark star aurait pu être l’archétype du premier film percutant et fondateur (ce que sera finalement Assaut deux ans plus tard).

Malheureusement, dans les faits, on est loin du compte, tant le film ressemble davantage à une pochade d’étudiants qu’à un vrai projet de cinéma. Mix improbable entre 2001 l’odyssée de l’espace et Dr Folamour (deux références assumées par Carpenter), Dark star cumule les poncifs de la série Z fauchée, avec son scénario bancal, ses acteurs approximatifs et ses effets spéciaux bricolés.

Pour autant, ce serait une erreur d’expédier ce film aux oubliettes car, malgré ces faiblesses (dus principalement à ses maigres moyens), il possède d’indéniables qualités.

Tout d’abord, il adopte un ton assez original, subtil mélange d’humour décalé et de mélancolie douce-amère, qui plonge le spectateur dans une drôle d’ambiance surréaliste. Ensuite, la « patte » de Carpenter est bien là, par petites touches certes mais incontestable (cadrage, gestion de l’espace et de la profondeur de champ, musique,…). Enfin, on ne s’ennuie pas à la vision du film, qui arrive toujours à nous surprendre malgré (ou grâce à) son histoire sans queue ni tête.

Bref, s’il n’est pas, loin s’en faut, un des meilleurs films de notre Big John tant admiré, Dark star n’en demeure pas moins une curiosité, témoignage intéressant de ses débuts dans le cinéma.

Fiche technique

  • Titre original : Dark star
  • Durée : 1h23
  • Réalisateur : John Carpenter
  • Pays d’origine : Etats-Unis
  • Distribution : Brian Nahelle – Dre Pahich – Cal Cunilhom – Dan O’Bannon
  • Date de sortie : 1974
  • Genre : Science fiction

Plan culte

Séance : Mardi 11 mars à 19h30 (Cinéma Artplexe)

Recommandations

  • Silent running (Douglas Trumble)
  • Mash (Robert Altman)
  • Les aventures de Jack Burton dans les griffes du Mandarin (John Carpenter)
  • The thing (John Carpenter)
  • La planète des Vampires (Mario Bava)

Critique du Poulpe (par Séraphin)

Ohé ohé, capitaine abandonné

Difficilement analysable vu le peu de logique scénaristique du film, Dark Star est d’abord une œuvre philosophique entourée d’une couche de comédie burlesque. Parabole sur le fatalisme, dans le monde de Dark Star chaque action mène à une fin dénuée de sens.

Le film suit les péripéties de quatre astronautes américains, le lieutenant Doolittle, le sergent Boiler, le sergent Talby et le commandant Powell, au fin fond de l’espace. Ils repèrent des planètes qui risquent de dévier et donc de finir en supernova. Pour détruire ces planètes volatiles, les trois intrépides astronautes utilisent des bombes équipées de systèmes d’intelligence artificielle embarqués, afin de pouvoir les contrôler à distance depuis la cabine du vaisseau. Ces bombes permettent d’annihiler la planète et d’éviter qu’elles ne soient colonisées par erreur lors de futures expéditions spatiales humaines. Cependant, l’équipage travaille sur sa mission depuis vingt années et, après la perte du capitaine (qui reste néanmoins congelé à bord du vaisseau), il accomplit sa mission dans une dépression et un ennui latents.

L’équipage traverse un nuage de micro-événements en vol, notamment le soulèvement de leur mascotte extraterrestre, le bouleversement émotionnel du sergent Pinback, qui n’est pas réellement astronaute, et l’obsession du sergent Talby pour une nébuleuse imminente. Le point culminant du film se situe dans les dernières minutes, lorsqu’un dysfonctionnement du vaisseau provoque l’armement de la bombe 20 qui explosera qu’importe l’ordre de l’équipage. Le lieutenant Doolittle doit alors s’engager dans un débat savant sur la phénoménologie pour convaincre la bombe que sa réalité n’est peut-être pas celle qu’elle pense être et donc l’ordre à laquelle elle pense obéir n’est sûrement pas vrai. Ce qui ressort le plus de ce film, c’est ce côté philosophique de l’histoire. Carpenter ne se contente pas de proposer une épopée spatiale, mais offre un traité nihiliste sur l’idée que les efforts humains pour progresser sont finalement sujets à des échecs humiliants.

Carpenter transmet ce message par l’intermédiaire de Talby. L’obsession de ce dernier pour la pluie de météorites Phénix est une clé du film. L’équipage, déjà fracturé, se divise un peu plus quand l’un des leurs est constamment occupé sur le pont d’observation du vaisseau, à contempler les étoiles dans une humeur dépressive. Même lorsque Doolittle, le chef compétent, l’invite à la conversation, Talby ne peut répondre que par de vagues fragments de phrases, comme s’ils sortaient d’une abstraction grandissante de sa conscience. Dans un superbe plan large, Carpenter montre Talby allongé dans la bulle d’observation, le regard fixé sur l’obscurité de l’espace, tandis que Doolittle se tient juste à côté, la tête inclinée de la même manière. Il est évident que pour Talby, ce qui n’était au départ qu’un simple ennui et une frustration à bord du Dark Star s’est transformé en un profond sentiment de désolation et de souffrance.  

D’un point de vue de la réalisation, Carpenter projette son propos jusque dans les moindres détails. Au début du film, le sergent Boiler s’adresse à Pinback et bafouille brièvement son texte. Cette gaffe n’est pas une erreur gardée au montage par inattention, elle est là pour rappeler au spectateur attentif que le film ne se préoccupe pas du moindre détail. Le fait que Carpenter refuse de tourner ne serait-ce qu’une prise supplémentaire pour corriger l’erreur suggère qu’il se préoccupe davantage d’autres aspects du film, qui dépasse son récit d’aventure traditionnel pour devenir une parabole du nihilisme. Ce qui ne l’empêche pas de manier les mouvements de caméras comme un bon artisan de la mise en scène qu’il est. On remarque déjà à l’époque que le manque de moyen chez Carpenter lui offre une force de frappe dans le maniement des angles assez prestigieuse.

Carpenter concrétise également sa vision de réalisateur en créant un contrepoint humoristique en parallèle au côté sombre du vaisseau. Acquis par les astronautes lors d’une mission passée, l’extraterrestre est pris en charge uniquement par le jeune Pinback, tandis que le reste de l’équipage reste indifférent à sa présence. Alors que Pinback tente de nourrir son animal, ce dernier devient agressif et se met à fuir à travers le vaisseau, obligeant l’astronaute à le poursuivre au risque même d’être écrasé par un ascenseur. Dans cette séquence, Carpenter crée une ambiance cartoonesque, avec un ballon de plage déguisé en créature étrange, rebondissant à l’intérieur du vaisseau. Située en plein milieu du film, cette séquence interminable peut être perçue comme à la fois péniblement longue et inutilement comique. Mais une interprétation plus approfondie montre que Carpenter utilise habilement l’humour pour contraster avec le ton autrement lugubre du film. On voit que l’humour joue un rôle plus important dans ce film, au-delà d’un simple effet comique. C’est une suggestion faite au public que la nature même de l’expédition des astronautes est une farce. Car quoi de plus humiliant pour des astronautes que d’être sérieusement menacés par une créature aussi molle qu’un ballon de plage ?

L’histoire du sergent Pinback illustre parfaitement la fin fataliste du film. D’abord comique, elle décrit un événement, mais le noie rapidement dans une réalité déprimante. Le sergent Pinback, que le public perçoit rapidement comme un étranger sympathique au sein de l’équipage, tente d’engager la conversation avec ses compagnons de navette lors d’un repas ordinaire. Il commence par un sourire jovial, déterminé à établir une relation positive avec ses camarades. Son récit se poursuit en racontant qu’il n’est pas vraiment un astronaute, mais une sorte de concierge qui se trouvait là au moment venu. En fait, il y avait un astronaute nommé Pinback, récemment devenu fou, qui, avant de monter à bord du vaisseau Dark Star, s’est enfui en hurlant, puis a plongé dans une cuve d’acide. Le faux sergent Pinback a alors repêché l’homme et lui a pris son uniforme. Il fut alors confondu avec le véritable Pinback et embarqué à bord du vol Dark Star au plus vite. L’équipage, indifférent à l’histoire, ignore Pinback et discute de sujets banals. Cette scène plutôt absurde reflète la qualité du film que Carpenter a construit, fait d’accidents et d’erreurs. La confiance du public envers l’équipage et sa mission est sérieusement ébranlée par cette découverte de la véritable nature de Pinback. Cela renforce l’idée que le Dark Star est voué à une fin indécente et que leur voyage était quasiment inutile dès le départ.  

Une quatrième scène, qui plonge le public dans la même crise existentielle que les personnages, est celle où le sergent Doolittle échange avec le commandant Powell, « cryogéniquement » congelé. Alors que Doolittle le dégèle temporairement pour lui demander de l’aide pour désamorcer la bombe 20, Powell répond d’une voix saccadée. Mais alors que les secondes s’écoulent avant l’heure de l’explosion de la bombe 20, Powell commence par exprimer sa gratitude envers Doolittle pour sa visite, car personne ne semble plus venir le voir. Tandis que Doolittle maîtrise son état frénétique pour exprimer clairement ses inquiétudes, Powell ponctue sa réponse de remarques banales sur son ancienne vie de capitaine du navire, évoquant avec nostalgie une vie trop lointaine pour qu’il puisse la retrouver un jour. La création par Carpenter d’un environnement dans lequel les personnages sont plus heureux lorsqu’ils se souviennent de souvenirs suggère si puissamment l’absurdité humaine, que pendant quelques instants, l’attention se porte sur chaque mot, chaque phrase, chaque hochement de tête, chaque gesticulation, comme s’il demandait aux personnages une réponse à des questions aussi abyssales.

Le point culminant du film conclut en beauté l’inutile excursion de ces malheureux astronautes ; aussi étrange que soit leur vie dans l’immensité de l’espace, c’est avec une étrangeté extrême qu’ils affrontent leur destin. Alors qu’ils trouvent une autre planète instable à détruire, ils arment la Bombe 20 et la préparent pour qu’elle explose dans les minutes à suivre. Mais le vaisseau tombe en panne et la Bombe 20 refuse de se larguer. L’équipage commence alors à dialoguer avec l’IA de la bombe pour tenter de la convaincre de la larguer, mais celle-ci refuse obstinément la dernière requête des astronautes angoissés. L’étrange spirale infernale se poursuit alors que le sergent Doolitle enfile une combinaison spatiale et affronte la Bombe 20 en face à face. Doolittle commence à interroger la bombe : comment sait elle qu’elle est censée exploser, et comment peut-elle savoir quoi que ce soit ? Après un bref échange de points de vue, la Bombe 20 déclare qu’elle doit prendre le temps de réfléchir avant d’exploser. L’équipage, cependant, ne peut profiter de son existence que pour un temps, car à l’issue de sa réflexion, la Bombe s’adresse directement à l’équipage en citant les premières lignes du récit chrétien de la création et, finalement, explose. L’équipage est éparpillé façon puzzle et le film se termine avec le lieutenant Doolittle surfant sur un bout du vaisseau arraché.

Carpenter réussi un exploit spectaculaire avec Dark Star. Il faut savoir passer sous silence les erreurs structurelles et visuelles évidentes du film. Ce n’est certainement pas une œuvre sensationnaliste au rythme effréné, mais pour ceux qui recherchent une digression magnifiquement sobre sur la futilité du progrès humain et la nature par ailleurs optimiste de la vie, celle-ci est pour vous.

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