Un film de Uli Edel
Résumé
Christiane, une jeune berlinoise de treize ans, vit très mal le divorce de ses parents et entretient une relation compliquée avec sa mère. Elle rêve de s’intégrer à une bande d’amis et de s’en approprier les codes. Lorsqu’elle sort en boîte de nuit pour la première fois, la descente aux enfers de Christiane commence: la drogue puis la prostitution vont venir ternir le reste de sa jeunesse.
Young germans
A la fin des années 70, Berlin jouit dans l’imaginaire collectif d’une réputation de ville avant-gardiste, culturellement riche et propice à la création artistique. Symboliquement, c’est d’ailleurs ici que David Bowie vient s’installer en 1976 (avec son compère Iggy Pop) pour y créer sa fameuse « trilogie berlinoise ».
Sauf que, comme souvent, la réalité derrière la façade est moins reluisante et, dans l’arrière-cour de ce foisonnement créatif, une jeunesse déboussolée sombre dans la déchéance. C’est ce que nous raconte le film, lui même adapté d’un reportage paru en 1978 dans un magazine puis édité en livre en 1979. Moi Christiane F est malheureusement une histoire vraie et son récit, brut et sans concession, dessinait à l’époque le tableau d’un pays incapable de soigner la souffrance d’une partie de sa jeunesse.
Réalisé par Uli Edel, un jeune cinéaste dont c’est le premier film, Moi Christiane F frappe par son caractère réaliste et son parti-pris de coller au plus près de son personnage principal. L’actrice Natja Brunckhorst, recrutée dans le cadre d’un long processus de casting sauvage (ainsi que la majeure partie des jeunes acteurs qui l’entourent) est quasiment de toutes les scènes et porte le film sur ses épaules. Parallèlement, les plans saisis sur le vif, dans la gare ou dans le métro berlinois, donnent au film une énergie documentaire saisissante. Le spectateur est ainsi le témoin direct de la descente aux enfers de la jeune fille, dont il suit toutes les étapes, tout en étant confronté à la réalité urbaine et sociale de son environnement.
Si aujourd’hui, le film a probablement un peu vieilli et n’évite pas certaines longueurs, il fut un immense succès à sa sortie en 1981, en Allemagne bien sûr mais également dans de nombreux pays – dont la France qui l’année d’avant célébrait La boum …Il permit notamment de sensibiliser le public aux problèmes de drogue et surtout de susciter des débats sur la manière dont la société traite les jeunes en difficulté. Des sujets qui peuvent sembler anodins de nos jours (en témoignent les nombreux films sur ce thème qui sont sortis depuis) mais qui étaient audacieux pour l’époque. Surtout, Moi Christiane F.. devint culte pour toute une génération de jeunes, à la fois fascinés et effrayés par le fameux « sex & drugs & rock’n’roll ».
Fiche technique

- Titre original : Christiane F. – Wir Kinder vom Bahnhof Zoo
- Durée : 2h18
- Réalisateur : Uli Edel
- Pays d’origine : Allemagne
- Distribution : Natja Brunckhorst – Thomas Haustein – Jens Kuphal
- Date de sortie : 1981
- Genre : Drame
Plan culte
Séance : Mardi 22 avril à 19h30 (Cinéma Artplexe)

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Critique du Poulpe (par Séraphin)
CH-CH-CH CHERRY BOMB
« Autrefois, il y avait des montagnes et autrefois il y avait des oiseaux, du soleil avec lesquels s’envoler. Et autrefois je ne pouvais jamais être déprimé […] Et qui me connectera avec l’amour ? » Voici les paroles de Station to station, la chanson que David Bowie interprète dans la séquence du concert. Qui va reconnecter Christiane avec l’amour ? Sûrement pas sa famille puisque ses parents et sa sœur l’ont abandonnée. Serait-ce Detlev, le beau brun ténébreux un peu cassé ? On pourrait croire, mais pas du tout. MAIS ALORS QUI ? Personne. C’est ainsi que, quand les membres de notre société/communauté/groupe refusent ou ne savent pas produire de l’amour, l’autodestruction se met en marche.
C’est le thème de Moi Christiane F. 13 ans , droguée, prostituée : l’amour. Son absence en tout cas. C’est ce qui lie tous les personnages du film, cette incapacité à exprimer, verbaliser ou acter une quelconque once d’amour. On se retrouve à devoir observer (presque anthropologiquement) une gamine croire que l’amour c’est imiter son entourage ou laisser son copain prendre sa virginité. Le sexe devient même la seule preuve amoureuse, dans le sens où le couple Christiane/Detlev ne cesse de se rassurer par le prisme du rapport pénétratif : « je t’aime puisque je ne me fais pas sodomiser par mon client » contre « je t’aime puisque la fellation c’est le maximum que je fais avec mes clients ».

Mais le sexe n’est pas le seul ersatz du sentiment amoureux puisque vient s’additionner la prise de drogue. Detlev jouit au bout de trois secondes, montre en main, lorsqu’il prend la virginité de Christiane qui lui a demandé d’être clean pour l’occasion. Le lendemain matin, il réveille Christiane pour un rapport cette fois-ci beaucoup plus endurant et énergique. La caméra ne nous laisse pas regarder entièrement et préfère nous montrer Axel qui vient de se piquer. Detlev a menti et s’est shooté pour avoir un rapport sexuel qu’il trouve digne. De toute manière Detlev ne cesse de mentir, à tel point qu’il s’avère être la contagion de Christiane qui copie les comportements des membres de sa tribu.

Si le film permet de décrypter de façon aussi crue ce microcosme c’est grâce à Uli Edel, dont la mise en scène a l’intelligence de ne pas subvenir à des moyens techniques grandiloquents avec des effets accélérés ou autres filtres psychédéliques. Il se permet un seul et unique ralenti placé à un moment d’une haute importance, celui où Christiane rentre pour la première fois dans la voiture d’un client. Sinon, le film s’apparente à un documentaire, la catégorie audiovisuelle qui capture le mieux la réalité. Les acteurs purement amateurs sont mal à l’aise comme les sujets d’un documentaire sur qui on braque une caméra pour la première fois.
Les grands absents du film sont les adultes, surchargés de névroses et de conflits internes, le rôle éducatif et affectif est délégué aux enfants, entre eux. Le court-circuit est alors en marche, il va se transmettre de génération en génération. Seul choix qui s’offre à une jeunesse désemparé, faire le mur. En attendant qu’un autre s’écroule.





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