REQUIEM POUR UN MASSACRE

5–7 minutes

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Un film de Elen Klimov

Résumé

En 1943, en Biélorussie, un jeune villageois, Flyora, déterre le fusil d’un soldat mort et s’engage chez les partisans contre l’envahisseur allemand. Avec l’énergie et l’idéalisme d’un enfant, il plonge dans l’horreur d’un monde qui dépasse les adultes eux-mêmes. Entre errance et combat, Flyora devient le témoin de toutes les horreurs de la guerre.

Flyora s’en va-t-en guerre

Bien que le titre français soit très beau, il faut revenir à la traduction littérale du titre original pour bien saisir le choc cinématographique que constitue ce film. Va et regarde, comme une injonction adressée à ce gamin plongé dans les atrocités de la guerre et dont le regard se vide peu à peu de toute humanité. Mais cette injonction s’adresse également au spectateur, à qui Klimov demande d’ouvrir les yeux sur l’horreur.

Ainsi, l’immersion du jeune Flyora renvoie à celle du spectateur, pris lui aussi dans un déferlement visuel et sonore dont il ne peut s’échapper. Pour ce faire, Klimov déploie une mise en scène virtuose, avec ses cadrages parfaits, son sens du montage et ses longs plans séquence à la Steadycam qui nous projettent au cœur du chaos. La caméra agit comme une force de pénétration, accompagnée dans son cheminement par une bande son puissante, dans laquelle s’entremêlent bruits authentiques (explosions, cri d’animaux, …) et sons électroniques distordus.

Surtout, le film utilise un procédé particulièrement fort, qui consiste à laisser souvent la violence hors-champs, tandis que la souffrance et l’effroi se lisent sur le visage de Flyora, dont il ne reste à la fin qu’un rictus figé et blafard (L’interprétation du jeune Aleksei Kravtchenko est saisissante de vérité et rarement un acteur enfant aura su exprimer avec tant d’intensité le traumatisme face à l’horreur).

Requiem pour un Massacre s’inscrit ainsi dans le droit fil des grands films de guerre capables de fusionner à l’écran la réalité sordide des combats avec l’état d’esprit torturé des protagonistes. Bien qu’il s’agisse de l’adaptation d’un roman, le film, dont la conception dura 7 ans, s’est vu adjoindre de nombreux souvenirs du réalisateur Elen Klimov, qui a assisté enfant au bombardement de Stalingrad par les allemands. Sorti en 1987, il rencontra le succès dans l’Union soviétique de l’époque (près de 30 millions de spectateurs) et poursuivi sa carrière en Europe et aux Etats-Unis dans les années suivantes, suscitant de fortes réactions (dont certaines lui reprochant une dimension propagandiste).

Quant à Elen Klimov, il obtint un poste officiel dans l’administration soviétique, dont il assura la charge jusqu’à sa mort en 2003. Requiem pour un massacre est sa dernière réalisation.

Fiche technique

  • Titre original : Иди и смотри (Va et regarde)
  • Durée : 2h22
  • Réalisateur : Elen Klimov
  • Pays d’origine : Union Soviétique
  • Distribution : Aleksei Kravtchenko – Olga Mironova – Liubomiras Laucevicius
  • Date de sortie : 1987
  • Genre : Guerre

Plans cultes

Séance : Mardi 6 mai à 19h30 (Cinéma Artplexe)

Recommandations

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  • Ivan le terrible (Sergueï Eisenstein)
  • A real pain (Jesse Eisenberg)
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  • Maus (Bande-dessinée)

Critique du Poulpe (par Séraphin)

Viens voir ce qu’on a à te montrer !

Pourquoi ? Pourquoi montrer l’horreur de la guerre à ce niveau-là ? En affichant l’extrême déshumanisation, Elem Klimov peut ainsi déployer en fond un discours d’un extrême pacifisme. Parce que nous sommes en face d’un plaidoyer pour la paix quand on regarde Come and See (Requiem pour un massacre). D’ailleurs, tout l’enjeu du film est dans son titre, « Venir et observer », la caméra, le réalisateur et le personnage ne font rien d’autre que ça, se déplacer d’un point A à un point B pour observer, avec une mise en scène riche et une composition d’image jamais vue auparavant, Elem Klimov n’a pas besoin de rendre le protagoniste proactif. De toute manière c’est un enfant qui subit la barbarie des adultes nazis et qui a besoin des adultes résistants soviétiques pour survivre.Ceci dit, pendant que nous voyons Flyora et l’apocalypse qui se forme autour de lui, en hors-champ, Glasha vit la même chose et la fin nous rappelle sa condition de femme en période de guerre. Tandis qu’on vole l’esprit de Flyora, faisant de lui un être errant, vide, Glasha se fait voler toute possession de son corps et devient un spectre sans vie. 

Évidemment Come and See (Requiem pour un massacre) est un film d’Europe de l’Est, donc c’est une autre sauce qui nous est servie, sans les Américains sauveurs interventionnistes et valeureux. Non non, ici en Biélorussie, où 628 villages se sont fait décimés par les nazis, c’est le peuple soviétique qui a pris les armes pour contre-attaquer. Pour autant, Elem Klimov n’oublie pas l’antisémitisme qui vient se mêler à la peur du communisme venant des nazis : tout le monde à leurs yeux devient un « youpin », ce qui leur donne une raison idéologique valable pour mettre feu à une grange remplie de villageois. Une fois capturés, deux camps se font chez les tortionnaires : les lâches et ceux droits dans leurs bottes et aucun des deux ne doit survivre. 

Come and See (Requiem pour un massacre) tire son titre d’un extrait de l’Apocalypse : « J’entendis la voix du quatrième être vivant qui disait: Viens. Et je vis: et voici un cheval livide; et le nom de celui qui était assis dessus est la Mort; et le hades suivait avec lui; et il lui fut donné pouvoir sur le quart de la terre, pour tuer avec l’épée, et par la famine, et par la mort, et par les bêtes sauvages de la terre. » L’extrait résume bien l’esprit symbolique du film, qui dégage parfois une aura mythique. Klimov récupère des images folkloriques du cinéma russe, comme les prises de vues en forêt qui rappellent Andreï Roublev de Tarkovski. Une récupération iconographique donc, pour mieux les détourner et expliquer que cette imagerie est sujette à l’annihilation.

Le film d’Elem Klimov combat une propagande occidentale manichéenne, qui fait de l’Occident une figure du bien menant des combats légitimes. Or tout ceci ne peut se résumer à la question du bien contre le mal. Il s’agit en fait d’une vision belliciste, qui fait perdurer les conflits inhumains en Palestine, au Soudan, au Congo, au Yémen, en Ukraine et dans d’autres régions. Il n’y a rien de glorieux dans tout cela, il s’agit de destructions massives et de morts civils massives. Rien de moins. Pour conclure, à l’idée du nazi capturé qui pense que la naissance est la première erreur des civilisations qui ne méritent pas d’exister, opposons l’idée de Jean-Luc Godard qui devrait être appliquée tant elle est humaniste : « Dès qu’on nait, on a le devoir de manger, le devoir d’aimer, le devoir de ceci et de cela. Surtout pas de droit. »

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