ZERO DARK THIRTY

4–7 minutes

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Un film de Kathryn Bigelow 

Résumé
Après les attentats du 11 septembre, une poignée d’hommes et de femmes du renseignement américain mettent tout en oeuvre pour débusquer Oussama Ben Laden. En 2003, Maya, fraîchement recrutée par la CIA, est dépêchée au Pakistan, où elle collabore avec des agents qui n’hésitent pas à recourir à la torture…

Dirty Ben

Avec Zero Dark Thirty, Kathryn Bigelow, adepte du film d’action musclé, aborde pour la première fois et de façon explicite un sujet politique. Pour ce faire, elle s’appuie sur l’énorme travail fourni par le scénariste et journaliste Mark Boal, qui a réuni un nombre important d’informations solides sur le sujet. Il en découle un « film-dossier » très documenté et très factuel, y compris dans le choix de confronter, de manière frontale, les méthodes employées par les services secrets américains pour retrouver Ben Laden. Non seulement Bigelow n’hésite pas à montrer la torture utilisée sur les prisonniers à l’époque pour obtenir des informations, mais elle en fait un des enjeux du film, à travers ce personnage féminin (Jessica Chastain, parfaite dans le rôle) qui peu à peu fait sien le vieil adage : « la fin justifie les moyens ».

Inévitablement, malgré son immense succès au box-office, Zero Dark Thirty suscita de nombreuses polémiques. Confus, trop long et surtout trop complaisant à l’égard des méthodes de la CIA, sans compter ce personnage solitaire qui s’affranchit des règles de sa hiérarchie (et qui rappelle le controversé inspecteur Harry). Des accusations loin d’être sans fondement, mais auxquelles Bigelow, fidèle à la grande tradition du film d’action américain, répond par la puissance des images et l’efficacité de la mise en scène. Elle s’inscrit ainsi dans la lignée de grands réalisateurs tels Don Siegel ou Sam Peckinpah, qui n’ont cessé, à travers leurs films, de questionner la violence de leur pays.

Avec Zéro dark thirty, la cinéaste démontre une nouvelle fois son incroyable maîtrise formelle, mélange de réalisme immersif et de virtuosité technique, par laquelle elle s’emploie à plonger le spectateur dans le cœur de l’action. Caméra à l’épaule, lumière naturelle, séquences en temps réel, mais également montage nerveux, découpage millimétré, cadrages soignés : le dispositif est conçu pour retracer le plus fidèlement possible l’interminable traque, tout en maintenant la tension et le suspense propres au thriller. Jusqu’à la séquence finale d’anthologie, 45 minutes de pure mise en scène qui prouvent, s’il en était besoin, que Kathryn Bigelow est incontestablement un des maîtres du cinéma d’action hollywoodien.

Fiche technique

  • Titre original : Zero dark thirty
  • Durée : 2h37
  • Réalisateur : Katrhyn Bigelow
  • Pays d’origine : Etats-Unis
  • Distribution : Jessica Chastain – Jason Clark – Jennifer Ehle – Mark Strong – Kyle Chandler
  • Date de sortie : 2012
  • Genre : Guerre

Plan Culte

Séance : Mardi 13 mai à 19h30 (Cinéma Artplexe)

Recommandations :

  • Warfare (Alex Garland)
  • Munich (Steven Spielberg)
  • L’inspecteur Harry (Don Siegel)
  • La chute du faucon noir (Ridley Scott)
  • American sniper (Clint Eastwood)
  • L’assaut (Julien Leclercq)
  • Fauda (Série)
  • 24H chrono (Série)
  • Homeland (Série)
  • Turning point (Série)
  • Kabul kitchen (Série)
  • Puktu (Roman)
  • Romans de John Le Carré

Critique du Poulpe (Par Séraphin)

S’il est minuit trente dans le siècle

Kathryn Bigelow signe, ici, une œuvre dérangeante, un thriller géopolitique qui transcende le simple récit de chasse à l’homme pour interroger, avec une précision quasi chirurgicale, les mécanismes de la guerre contemporaine et les zones d’ombre de la raison d’État. Sous ses allures de docu-fiction nerveux, le film impose une réflexion lucide sur les dérives sécuritaires du XXIe siècle et la frontière poreuse entre justice, vengeance et pouvoir.

Bigelow orchestre une mise en scène d’un dépouillement remarquable : caméra à l’épaule, photographie désaturée, bande-son discrète. Ce minimalisme formel n’est pas gratuit : il inscrit le film dans une esthétique du réel qui confère à l’ensemble une intensité sourde, presque documentaire. À travers cette approche, la cinéaste restitue le quotidien monotone, souvent ingrat, des agents de renseignement : l’attente, les conjectures, les fausses pistes, les tensions internes. La guerre contre le terrorisme n’a rien d’épique, et Zero Dark Thirty le rappelle avec une rigueur rare. Ce choix esthétique n’est pas neutre : il crée une forme de vérité émotionnelle, où la froideur du récit devient le miroir de celle du système qu’il dépeint.

L’un des mérites du film est précisément de ne jamais se réfugier dans une morale rassurante. Bigelow n’édulcore pas la violence – physique, psychologique, institutionnelle – qui structure cette décennie de traque. Elle montre la torture sans fard, sans voyeurisme non plus, dans toute sa brutalité. Certains y ont vu une légitimation implicite ; c’est méconnaître la logique du film, qui préfère exposer les contradictions profondes du système américain plutôt que les résoudre. Le film ne prend pas parti de façon explicite : il force le spectateur à penser, à juger, à interroger ses propres limites morales. Il ouvre un espace de réflexion, là où tant d’autres films se contentent de simplifier.

Portée avec une intensité contenue par Jessica Chastain, Maya est l’âme inquiète de ce récit. Figure quasi mythologique, elle incarne une forme de radicalité silencieuse : celle de l’État qui s’obstine, coûte que coûte, dans sa quête de justice. Son évolution – de jeune analyste à figure centrale du renseignement – est à la fois fascinante et glaçante. Elle ne triomphe pas : elle s’épuise, elle s’évide. Sa victoire n’en est pas une. Le film, en capturant ce vertige intérieur, dessine en creux le portrait d’une Amérique fatiguée, hantée par ses choix.

Le point culminant du film – le raid nocturne à Abbottabad – est un modèle de mise en scène : sobre, tendu, réaliste. Bigelow ne cherche pas le spectaculaire ; elle filme l’opération comme une procédure chirurgicale, où chaque mouvement est pesé, chaque erreur potentiellement fatale. Pas de musique héroïque, pas de glorification martiale : juste le silence, les respirations, les portes qui s’ouvrent sur la mort. Ce choix est profondément politique : il refuse la catharsis. La mort de Ben Laden n’apporte ni soulagement, ni apaisement. Elle ouvre, au contraire, un abîme de questions.

Zero Dark Thirty est un film dense, exigeant, inconfortable. Il refuse les réponses toutes faites et les récits manichéens. Il explore la part d’ombre d’une démocratie en guerre, sans jamais sombrer dans le cynisme. Ce n’est pas un manifeste, mais un miroir : tendu à l’Amérique, tendu au spectateur. Kathryn Bigelow signe ici une œuvre d’une rare maturité politique et cinématographique, qui s’affirme comme l’un des films les plus lucides de l’après-11 septembre. Parce qu’il dérange, parce qu’il interroge, parce qu’il montre sans juger – Zero Dark Thirty s’impose comme une pièce essentielle du cinéma contemporain.

Une réponse à « ZERO DARK THIRTY »

  1. Avatar de thierry
    thierry

    Bravo pour cette critique. J’ajouterais juste que c’est aussi un film de femme, pudique, faisant l’apologie du combat d’une…femme:)

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