SANS TOIT NI LOI

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Un film d’Agnès Varda

Résumé

Une jeune fille errante est trouvée morte de froid : c’est un fait d’hiver. Etait-ce une mort naturelle ? C’est une question de gendarme ou de sociologue. Que pouvait-on savoir d’elle et comment ont réagi ceux qui ont croisé sa route ? C’est le sujet du film. La caméra s’attache à Mona, racontant les deux derniers mois de son errance. Elle traîne. Installe sa tente près d’un garage ou d’un cimetière. Elle marche, surtout jusqu’au bout de ses forces.

Fait d’hiver

En 1985, Bernard Tapie fait le une de l’Express et devient un phénomène de société, icone de l’ultralibéralisme et de la réussite individuelle, les valeurs étendard du monde occidental à l’époque. Mais au même moment, le chômage et la pauvreté connaissent une forte expansion et l’expression « sans domicile fixe » apparait dans le langage courant. C’est cette dure réalité sociale qu’Agnès Varda dépeint dans Sans toit ni loi, un film âpre et sans concession porté par une Sandrine Bonnaire bouleversante.

Agnès Varda a toujours occupé une place particulière dans le cinéma français, à la frontière du documentaire et de la fiction et cultivant son indépendance. Cette approche, volontairement radicale, l’empêche au fil de sa carrière de tomber dans le piège du cinéma d’auteur avec un grand « A », celui qui a tendance à dérouler un programme trop balisé (à l’image des derniers films des frères Dardenne ou de Ken Loach).

Justement, pas de programme chez Varda, qui attaque Sans toit ni loi avec seulement deux pages de script, mais après avoir réalisé de longs repérages auprès des « marginaux ». Son but n’est pas de chercher à les comprendre mais tout simplement de les fréquenter et de se nourrir de leurs expériences. C’est ce désir de cinéma qui irrigue le film, comme une volonté d’aller vers les autres, sans les juger ni les enfermer dans une catégorie.

Varda invite ainsi le spectateur à faire un bout de chemin avec Mona et les gens qu’elle rencontre, avec pour seule ambition d’en savoir un peu plus sur son destin. Refusant de s’enfermer dans le piège d’un scénario verrouillé, elle joue sur la mise en scène et sur l’ambiance sonore prise « sur le vif » pour dresser un portrait à la fois triste et touchant de cette marginale.

Un pari risqué mais réussi puisque Sans toit ni loi fut un succès commercial (plus de 1 M d’entrées en France) et obtint de nombreuses récompenses (dont le Lion d’or à la Mostra de Venise et le César de la meilleure actrice pour Sandrine Bonnaire).

Fiche technique

  • Durée : 1h45
  • Réalisateur : Agnès Varda
  • Pays d’origine : France
  • Distribution : Sandrine Bonnaire – Macha Méril – Stéphane Freiss – Yolande Moreau
  • Date de sortie : 1985
  • Genre : Drame

Plan culte

Séance: Mardi 17 juin à 19h30 (Cinéma Artplexe)

La critique du Poulpe (par Séraphin)

Est-il possible d’aimer à la fois les vagabonds et la géométrie ? Agnès Varda prouve que oui. Avec Sans toit ni loi, elle nous propose une équation émotive : Mona = X, inconnue dont la beauté n’est ni glorifiée ni punie, juste laissée là, sur le bas-côté d’une départementale, comme un fait divers dont on pressent la nécessité tragique. 

Sa caractéristique est de savoir mettre en scène, c’est-à-dire mettre en valeur un objet, un être humain, un paysage uniquement par son contraire. La caméra d’Agnès Varda ne cherche pas à séduire, elle fouille. Elle saisit le réel sans fard mais avec une conscience aiguë de la mise en scène. Mona n’a pas de toi, pas de loi, mais elle a l’espace, le vent et cette manière brute de traverser les regards. 

Agnès Varda ne filme pas sur les marginaux mais depuis la marge. Et si son intelligence sert à structurer le récit, à l’ordonner comme un herbier de témoins, c’est la passion – toujours discrète – qui l’anime. Elle n’analyse pas Mona ; elle l’a suit, la laisse fuir, échoue même à l’enfermer dans une morale. Là réside sa force : faire d’une disparition annoncée un geste de liberté. 

Elle est, encore une fois, la première à parler des femmes non comme figures de magazine, mais comme existences rugueuses, parfois déplaisantes, souvent vraies. Et s’il manque à Mona un peu d’instinct de survie, louons Varda, encore, pour avoir créé, comme Sternberg, sa propre lumière – sans phare, sans guide, sans abri.

Le film est austère ? Oui. Mais comme Oscar Wilde commandant un habit de pauvre chez un grand tailleur, Varda enveloppe sa misère d’un art sobre, presque élégant. C’est une pauvreté choisie, épurée, sans pathos et donc puissante. 

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