Un film de Bong Joon-Ho
Résumé
A Séoul, Gang-du tient un petit snack au bord de la rivière où il vit avec sa famille, dont sa fille adorée Hyun-seo. Un jour, un monstre géant surgit des profondeurs de la rivière et attaque la foule. Gang-du tente de s’enfuir avec sa fille, mais elle est enlevée brusquement par le monstre, qui disparaît au fond de la rivière. La famille Park décide alors de partir à la recherche de la créature, pour retrouver Hyun-seo…
MONSTRE ET Cie
Après avoir détourné les codes du thriller avec l’exceptionnel Memories of Murder, Bong Joon-ho réalise The Host et s’empare du film de monstre qu’il réinvente avec une audace et une inventivité rares. A l’instar de son ami Tarantino, il affiche son amour du cinéma de genre pour mieux le transcender, faisant de The Host une œuvre protéiforme, oscillant entre l’horreur, le drame familial, la comédie burlesque et le pamphlet politique.
Après une introduction magistrale, qui pastiche les films catastrophes des années 1950, Bong Joon-Ho déploie sa maitrise formelle et narrative, plongeant le spectateur dans un enchainement de péripéties qui déjouent complètement ses attentes. Non seulement les scènes d’action ou d’effroi sont désamorcées par un humour débridé, mais le réalisateur pratique l’art de la digression, passant d’un registre à l’autre avec une fluidité incroyable. Les effets spéciaux, remarquables pour l’époque, servent une esthétique à la fois réaliste et onirique et la photographie renforce cette ambiance en jouant habilement sur les contrastes.
Mais The Host n’est pas un simple exercice de style virtuose et une nouvelle fois Bong Joon-Ho dynamite son matériau de base pour atteindre une dimension politique et sociale. Tandis que le monstre devient le symbole des maux de la société coréenne et de l’impérialisme américain à l’époque, le destin de la petite Hyun-seo sert de fil conducteur à une exploration des dynamiques familiales (qui sera au centre de Parasite).
The Host est ainsi bien plus qu’un film fantastique sur un monstre qui terrorise la population : c’est une fable sur la résilience et les fractures sociales, une œuvre manifeste à la fois divertissante, politique et profondément personnelle.
Fiche technique

- Durée : 1h59
- Réalisateur : Bong Joon-Ho
- Pays d’origine : Corée du Sud
- Distribution : Song Kang-Ho – Byun Hee-Bong – Park Hae-il
- Date de sortie : 2006
- Genre : fantastique
Plan culte
Séance: Mardi 23 septembre à 19h30 (Cinéma Artplexe)
Recommandations
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La critique du Poulpe (par Séraphin)
L’Amérique parasite la Corée
Bong Joon-ho, dans The Host, détourne le film de monstre pour en faire un miroir des fractures sociales coréennes. Là où Hollywood se concentre sur la menace extraterrestre ou la victoire d’un héros solitaire, Bong Joon-oh raconte l’histoire d’une famille disloquée, incapable de fonctionner selon les normes classiques, mais qui devient paradoxalement la seule force de résistance face à la créature et face à l’État.
La famille Park n’est pas une cellule harmonieuse mais une constellation de ratés : un père vieillissant qui se sent dépassé, un fils aîné lymphatique, un fils cadet chômeur diplômé, une fille archère en échec de carrière. Tout semble signaler l’échec d’un modèle familial et social. Pourtant, c’est dans cette défaillance même que se loge une vérité plus profonde.

Sociologiquement, la famille Park condense les contradictions de la Corée post-dictature, post-industrialisation. Le père, Hie-bong, représente la génération de la guerre et du sacrifice, qui a travaillé dur mais se retrouve à la marge, incapable de transmettre un modèle solide. Gang-du, l’aîné, incarne les laissés-pour-compte de la croissance, marqués par la précarité et le manque d’éducation : son apathie, ses gestes maladroits, son incapacité à être un « bon père » reflètent l’exclusion sociale. Nam-il, le cadet diplômé mais chômeur, renvoie à la jeunesse instruite mais sans avenir, broyée par la compétition économique. Nam-joo, la sœur archère, symbolise la frustration des aspirations féminines : talentueuse mais toujours trop lente, incapable de concrétiser sa réussite.
Cette famille dysfonctionnelle est une métaphore : la Corée n’est pas une société homogène et prospère, mais un assemblage de fractures générationnelles, de promesses non tenues et d’exclusions invisibles. Bong fait du monstre un révélateur, mais l’échec précède déjà sa venue.

Le traitement institutionnel du drame est révélateur. L’État, incarné par les autorités coréennes et américaines, est inefficace, paternaliste, voire complice du chaos (le virus inventé, la gestion absurde de la quarantaine). La famille Park se retrouve seule, rejetée à la marge, désignée comme coupable (Gang-du est suspecté de porter un virus). C’est une logique sacrificielle : le pouvoir cherche un bouc émissaire pour dissimuler son incapacité.
Dans ce contexte, la famille devient un contre-pouvoir. Mais ce n’est pas une famille idéale et harmonieuse qui s’érige contre l’État : c’est une famille cabossée, défaillante, qui n’a que sa solidarité imparfaite pour survivre. Philosophiquement, c’est une inversion radicale du mythe confucéen de la famille coréenne, censée être le socle de l’ordre social. Bong montre au contraire une famille brisée qui, précisément par son dysfonctionnement, se libère du modèle normatif et devient résistante.
La disparition de Hyun-seo, la fille de Gang-du, déclenche toute l’action. Ici, la famille se révèle dans sa dimension tragique : elle est définie moins par la présence que par la perte. Gang-du, père incapable, n’existe comme figure paternelle qu’à travers l’échec de sa protection. Philosophiquement, cela rejoint une idée kierkegaardienne : l’existence familiale n’est pas donnée, mais éprouvée dans l’angoisse et l’échec. Le lien filial n’est jamais garanti par la biologie, mais par l’épreuve de l’impossible. L’amour paternel se dévoile comme une lutte désespérée contre un monde indifférent, monstrueux, bureaucratique. La mort finale de Hyun-seo accentue ce tragique : la famille se bat, mais ne triomphe pas. La famille n’est pas un refuge absolu, elle est une expérience de vulnérabilité partagée.

La créature elle-même peut être lue comme une contre-figure de la famille. Elle surgit de la pollution américaine : produit d’un acte « parental » toxique, d’une relation asymétrique entre puissances. Elle capture Hyun-seo, la séquestre, la garde presque comme un enfant monstrueux. Elle agit de manière chaotique, maladroite, presque animale, rappelant paradoxalement le comportement erratique de Gang-du.
En ce sens, le monstre n’est pas l’opposé de la famille, mais son double monstrueux : une famille déformée, issue d’une filiation toxique (la domination américaine, la négligence de l’État). Le combat final n’est pas simplement une chasse au monstre, mais une lutte symbolique contre une filiation empoisonnée.
À la fin, Gang-du survit avec un nouvel enfant, orphelin recueilli dans le drame. Ce n’est pas une restauration du modèle perdu, mais une recomposition. La famille ne se perpétue plus par la généalogie biologique, mais par l’adoption, le soin, l’ouverture. Philosophiquement, cela correspond à une vision post-traditionnelle de la famille : non plus la reproduction d’un ordre (confucéen ou patriarcal), mais la création d’un lien choisi, fragile, toujours à reconstruire. Le cinéaste montre qu’il existe une possibilité d’avenir, mais seulement au prix de la reconnaissance de la perte et de la transformation des formes familiales.

The Host ne raconte pas seulement l’attaque d’un monstre, mais l’effondrement des illusions autour de la famille et, plus largement, de l’État. Sociologiquement, la famille Park représente une Corée fragmentée, laissée seule face aux crises que les institutions refusent d’assumer. Philosophique, le film affirme que la famille n’est pas un sanctuaire naturel, mais une expérience tragique de l’échec et de la réinvention.
En fin de compte, Bong Joon-ho ne détruit pas la famille : il la reconfigure. Elle n’est plus l’unité parfaite, hiérarchisée, confucéenne, mais une assemblée de marginaux, soudés par la perte et la lutte. Ce n’est pas une famille idéalisée, mais une famille « monstrueuse » qui devient paradoxalement le seul lieu de survie et d’humanité.





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