LE NOM DE LA ROSE

5–7 minutes

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Un film de Jean-Jacques ANNAUD

Résumé

En l’an 1327, dans une abbaye bénédictine, des moines disparaissent. Un franciscain, Guillaume de Baskerville, aidé du jeune novice Adso von Melk, mènent l’enquête. C’est l’époque ou l’Eglise, en pleine crise, se voit disputer son pouvoir spirituel et temporel. C’est aussi l’apogée de l’inquisition.

Le silence des prêtres

Sorti en 1986, Le Nom de la Rose est l’adaptation par Jean-Jacques Annaud du roman culte d’Umberto Eco, publié lui en 1980. Un défi colossal (transposer à l’écran la richesse historique, philosophique et policière d’un texte aussi dense) que le réalisateur de L’ours relève malgré les multiples obstacles qui se dressent devant lui (scénario, casting, décors, reconstitution historique, …).

S’appuyant sur ses connaissances en histoire et sa maitrise technique, Annaud transforme le roman en un objet cinématographique unique, mêlant polar, conte médiéval et satire de l’obscurantisme. Le film oscille habilement entre le burlesque et le fantastique, dans une atmosphère de plus en plus angoissante à mesure que les meurtres s’accumulent. Les décors, entre abbaye reconstruite et studio, sont somptueux, sublimés par la photographie et les jeux de lumière, entre clairs obscurs et flambeaux.

Sean Connery, malgré les réticences initiales d’Annaud, incarne un Guillaume de Baskerville charismatique et subtil, dont l’intelligence transparaît à chaque scène. Christian Slater, alors âgé de 16 ans, apporte une fraîcheur touchante au novice Adso. Autour d’eux, Ron Perlman (en bossu terrifiant) et F. Murray Abraham (en inquisiteur caricatural) complètent une distribution sans fausse note.

Près de 40 ans après sa sortie, Le Nom de la Rose reste un grand film populaire, aussi captivant qu’à sa création. Annaud réussit le pari de concilier fidélité au roman et accessibilité, tout en offrant une œuvre visuellement somptueuse et narrativement riche. Un film à redécouvrir, pour son ambition comme pour son intelligence.

Fiche technique

  • Durée : 2h11
  • Réalisateur : Jean-Jacques ANNAUD
  • Pays d’origine : France – Italie – Allemagne
  • Distribution : Sean Connery – Christian Slater – F Murray Abraham – Ron Perlman
  • Date de sortie : 1986
  • Genre : drame historique

Plan culte

Séance: Mardi 30 septembre à 19h30 (Cinéma Artplexe)

La critique du Poulpe (par Séraphin)

Voir Le Nom de la rose n’est pas regarder un simple film : c’est entrer dans une crypte où chaque pas résonne, où chaque souffle se charge de siècles. Jean-Jacques Annaud, en adaptant Umberto Eco, n’a pas seulement traduit une intrigue policière médiévale ; il a fait surgir à l’écran un Moyen Âge sensoriel, charnel, à la fois répugnant et magnifique.

L’esthétique du film est une esthétique de la matière. On ne contemple pas ici des moines idéalisés ou des abbayes de carte postale, mais un monde rude, âpre, rongé par la misère et l’humidité. La caméra caresse la rugosité des murs, s’attarde sur des visages creusés par la faim et la peur. Chaque figurant est une relique vivante : édenté, pustuleux, luisant de sueur ou recouvert de crasse. Annaud ne cherche pas le beau : il cherche le vrai, et de ce vrai surgit une beauté paradoxale, presque baroque, où la laideur devient sublime.

La photographie de Tonino Delli Colli (fidèle collaborateur de Pasolini et de Fellini) est capitale. Elle sculpte la lumière comme une main sculpterait le marbre. Dans le scriptorium, des rais de soleil traversent la poussière et deviennent des colonnes d’or flottant dans l’air. Dans la bibliothèque, la pénombre s’épaissit jusqu’à devenir un personnage à part entière, un labyrinthe vivant qui engloutit ceux qui osent trop chercher. C’est une esthétique du clair-obscur, héritée de Caravage : la vérité n’apparaît que dans le contraste, jamais dans la pleine lumière.

Techniquement, Annaud orchestre son récit comme un envoûtement progressif. Le film s’ouvre sur un paysage hivernal, d’une austérité monacale, puis glisse dans un crescendo de tension. La caméra se fait d’abord observatrice, presque documentaire, puis devient de plus en plus fébrile, claustrophobe, à mesure que la bibliothèque se referme comme une mâchoire. On pourrait dire que la mise en scène elle-même imite l’acte de lire : lente au début, méditative, puis haletante, fébrile, impossible à interrompre.

Sean Connery, dans le rôle de Guillaume de Baskerville, est magistral : il incarne la raison éclairée dans un monde englué de ténèbres. Sa diction posée, son œil pétillant d’ironie, son autorité naturelle transforment le personnage en une sorte de moine-Sherlock, rationaliste mais pas dépourvu de foi. À ses côtés, le jeune Christian Slater, candide novice, sert de miroir au spectateur : il découvre, il apprend, il désire, il tremble.

Mais le véritable casting, ce sont les visages. Ron Perlman en Salvatore, avec sa grimace de gargouille, semble arraché à une fresque infernale. F. Murray Abraham en inquisiteur Bernardo Gui impose une froideur d’acier, incarnation implacable du dogme. Tous ces visages sont des icônes de chair, travaillées comme des enluminures grotesques.

La musique de James Horner n’envahit pas le film : elle l’accompagne comme un chant liturgique venu d’un autre siècle. Des notes graves, quasi funèbres, qui se fondent dans le souffle du vent ou le grincement du bois. L’abbaye elle-même devient instrument : ses échos, ses craquements, ses cloches résonnent comme des parties de la bande-son.

Ce qui rend Le Nom de la rose fascinant, c’est la manière dont il marie le polar et la méditation métaphysique. L’enquête sur les moines assassinés n’est pas qu’un divertissement narratif : c’est un prétexte pour réfléchir au pouvoir des livres, du savoir, du rire. La bibliothèque est un temple sacré, mais aussi une prison : la connaissance y est jalousement gardée, et le rire — arme de subversion — y est jugé plus dangereux que l’hérésie. Annaud filme la bibliothèque comme un monstre de pierre et de papier, un labyrinthe qui dévore ceux qui le profanent.

Au fond, le film oppose deux forces : d’un côté, la raison curieuse, éclairée, qui cherche à comprendre le monde (Guillaume de Baskerville) ; de l’autre, la peur dogmatique, qui préfère brûler un livre plutôt que d’affronter une idée (Bernardo Gui). Cette tension est le moteur esthétique et philosophique du film.

Et puis, il y a ce final : le feu. Le savoir s’embrase, la bibliothèque se consume comme une tour de Babel en papier. Les flammes illuminent la nuit comme une apocalypse miniature. Techniquement, c’est un exploit de mise en scène, un brasier filmé comme un bûcher cosmique. Symboliquement, c’est un cri : toute civilisation est fragile, et la mémoire peut disparaître en une nuit de cendres.

En définitive, Le Nom de la rose est une œuvre qui conjugue les sens et l’esprit. Esthétiquement, c’est une peinture médiévale animée, grouillante d’ombres et de corps. Techniquement, c’est une mécanique précise, un jeu de lumière et de silence. Philosophiquement, c’est une méditation sur la vérité et sur la liberté de rire, ce souffle léger qui peut faire vaciller les tyrannies.

C’est un film qui se regarde comme on lit un manuscrit rare : lentement, avec respect, en goûtant l’épaisseur de l’encre et le parfum du parchemin. Et lorsqu’on referme ce manuscrit cinématographique, il reste au spectateur la même sensation qu’après une longue nuit de lecture interdite : le vertige, et une secrète jubilation.

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