MELODIE EN SOUS-SOL

4–6 minutes

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Un film de Henri Verneuil

Résumé

Charles, la soixantaine, vient de passer cinq ans derrière les barreaux. A sa sortie, il retrouve difficilement son pavillon à Sarcelles. En son absence, la ville a complètement changé : des tours de construction moderne ont poussé comme des champignons. Ginette propose à Charles de reprendre un commerce dans le Sud mais il n’a qu’une idée en tête : cambrioler le coffre-fort du casino Palm Beach, à Cannes. Pour préparer ce grand coup, Charles s’associe à un ancien codétenu, Francis, un jeune délinquant, ainsi qu’à Louis, un mécanicien qui doit leur servir de chauffeur.

Braquage à la française

Après Un singe en hiver, film mythique qui réunit à l’écran Jean Gabin et Jean-Paul Belmondo, le réalisateur Henri Verneuil décide, avec son dialoguiste Michel Audiard, d’adapter un roman de série noire peu connu, Any number can win. Si la présence de Gabin au générique ne fait aucun doute (ils doivent encore un film à la MGM avec laquelle ils sont sous contrat), le choix de son acolyte reste ouvert, avec comme seul objectif de placer une jeune star montante face au monument. Le choix se porte d’abord sur Jean-Louis Trintignant, mais Alain Delon va faire des pieds et des mains pour obtenir le rôle, allant jusqu’à accepter de renoncer à ses émoluments, en échange des droits du film au Japon. Une décision qui enrichira considérablement l’acteur, mais aussi l’histoire du cinéma français, car Mélodie en sous-sol est la première des trois confrontations à l’écran de ces deux monstres sacrés.

Si l’intrigue du film est classique et le scénario un peu plan-plan, Mélodie en sous-sol reste un divertissement de haute volée, grâce notamment à la mise en scène d’Henri Verneuil, un cinéaste précis et rigoureux, qui livre ici un modèle du genre. La séquence du casse en lui-même (vingt-cinq minutes de tension quasiment sans dialogue) est un morceau de bravoure haletant, digne des meilleures productions américaines. Le film est léger et brillant, porté par une écriture parfaite et un montage rythmé qui ne laisse aucune place à l’ennui, le tout réhaussé par un Cinémascope spectaculaire et des décors parfaitement utilisés.

Ces qualités ont permis au film de connaître un foudroyant succès public, aussi bien en France qu’à l’étranger. Diffusé dans le monde entier, Mélodie en sous-sol a même cartonné aux Etats-Unis, avec plus d’un million de dollars de recettes. Un succès qui ouvrira à Verneuil les portes des studios hollywoodiens pour une courte période et fera de Delon une star confirmée, qui prendra ainsi le relais de Jean Gabin au panthéon du cinéma français.

Fiche technique

  • Durée : 1h58
  • Réalisateur : Henri Verneuil
  • Pays d’origine : France
  • Distribution : Jean Gabin – Alain Delon – Maurice Biraud – Viviane Romance
  • Date de sortie : 1963
  • Genre : policier

Plan culte

Séance: Mardi 14 octobre à 19h30 (Cinéma Artplexe)

La critique du Poulpe (Par Séraphin)

Henri Verneuil signe avec Mélodie en sous-sol un film de braquage qui dépasse largement le simple canevas du genre pour s’imposer comme une méditation sur la temporalité, le rapport à l’argent et la confrontation des générations. C’est Bertrand Tavernier qui soulignait d’ailleurs que le film « combine l’efficacité mécanique d’un film de casse à une vraie profondeur humaine », insistant sur la façon dont Verneuil transforme un récit criminel en étude psychologique.

Si Mélodie en sous-sol emprunte les codes classiques du film de braquage — planification méticuleuse, anticipation du risque, tension progressive — il s’en distingue par sa précision formelle et sa capacité à humaniser les criminels. La rigueur de la mise en scène, les plans symétriques et l’attention quasi chirurgicale portée aux détails techniques du casse renforcent la crédibilité et la tension dramatique. Contrairement à certains films américains contemporains, Verneuil ne glorifie pas le crime : le braquage devient un outil pour explorer la psychologie des personnages et les dynamiques de pouvoir. Tavernier remarque à ce sujet que le réalisateur « construit un suspense qui n’est jamais gratuit, chaque geste des personnages servant à révéler leur caractère et leur rapport au monde ».

Au centre du film, la rencontre entre Charles (Jean Gabin) et Francis (Alain Delon) illustre le choc générationnel. Charles, homme d’expérience et presque fatigué par la vie criminelle, représente la sagesse mais aussi l’obsolescence dans un monde en mutation. Francis incarne la jeunesse insolente, rapide, audacieuse, incarnant une modernité parfois brutale mais pleine de ressources. Leur relation n’est pas seulement un duo comique ou dramatique, mais une confrontation morale et philosophique : la fidélité, l’honneur et la prudence face à l’audace, l’impulsivité et la séduction du risque.

Le thème du temps est également central. Le film interroge la temporalité du crime et la notion de fin de carrière. Charles ne cherche pas seulement à réussir un dernier coup : il cherche à laisser derrière lui une empreinte, à maîtriser le destin jusqu’au dernier instant. Cette réflexion sur le déclin et la permanence de l’héritage moral et social confère au film une profondeur rarement atteinte dans les films de casse de l’époque.

Au-delà du genre, Mélodie en sous-sol est aussi une observation subtile des classes sociales et des valeurs. Le luxe et la frivolité du casino contrastent avec la discipline et le calcul des braqueurs, créant un commentaire implicite sur la société et la distribution du pouvoir et de l’argent. Tavernier encore note que le film « montre avec justesse que le crime n’est jamais seulement technique : il est toujours un acte social, une manière de se confronter au monde et à ses hiérarchies ».

Mélodie en sous-sol transcende le simple film de braquage pour devenir une œuvre où le suspense est intimement lié à la psychologie des personnages et à des interrogations universelles sur le temps, la modernité et la morale. La confrontation entre Gabin et Delon, la précision de la mise en scène de Verneuil et l’acuité de l’écriture font de ce film un modèle de sophistication narrative dans le cinéma populaire français. Tavernier, dans ses analyses, insiste sur cette double réussite : « un film divertissant et intelligent à la fois, capable de fasciner par l’action et par la profondeur des caractères ».

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