Un film de Fernando Meirelles
- Durée : 2h10
- Pays d’origine : Brésil
- Date de sortie : 2002
- Genre : drame – action
Saga trépidante dans les favelas de Rio, La Cité de Dieu embrasse le destin tragique et romanesque d’une bande de jeunes voyous sur près de trois décennies. À couper le souffle !
Le cinéaste brésilien Fernando Meirelles a fait ses débuts dans la pub tout en s’intéressant très tôt au cinéma expérimental. Une double approche que l’on retrouve dans La Cité de Dieu, dont la réalisation se déploie avec virtuosité sans étouffer la sincérité du propos. Privilégiant les plans courts et un montage dynamique, Mereilles capte l’urgence et la vitalité de la rue, tout en s’appuyant sur des interprètes non-professionnels qui donnent à son film une fraîcheur saisissante. La mise en scène fusionne ainsi avec l’environnement urbain et brutal de la favelas, offrant une sensation d’immersion totale.
Le scénario, riche et dense, couvre plus de 20 ans d’histoire et englobe une multitude de personnages, mais son architecture parfaite et le brio avec lequel Meirelles mène son récit font que jamais le spectateur ne décroche. Le film joue avec les temporalités, mêle voix off, flash-backs et effets stylistiques, dans un maelstrom bouillonnant qui retourne la tête.
Présenté à Cannes hors compétition, La Cité de Dieu est rapidement devenu un phénomène international, rapportant plus de 30 millions de dollars de recettes et accumulant les récompenses et les distinctions, notamment au Brésil. Un succès jamais démenti au fil du temps car, vingt ans plus tard, le film n’a rien perdu de sa puissance évocatrice et demeure un monument du film de gangsters.
La critique du Poulpe (par Séraphin)
Miseria de miseria
Depuis les années 2000, les productions audiovisuelles brésiliennes, telles que les séries télévisées, les mini-séries, les films et même les campagnes publicitaires, témoignent d’un dialogue concret entre les langages de la télévision, du cinéma et de la publicité. Ce dialogue se manifeste tant sur le plan du langage audiovisuel, par un chevauchement esthétique entre les différents médias, que sur le plan commercial, en raison des exigences du marché audiovisuel dans son ensemble. Ce chevauchement esthétique s’explique par le fait que de nombreux professionnels du cinéma ont rejoint des agences de télévision et de publicité dans les années 1990, suite au démantèlement d’Embrafilme et de son système de subventions par le gouvernement de Fernando Collor (président du Brésil de 1990 à 1992). C’est le cas de notre Fernando Meirelles. Les compétences acquises dans le secteur publicitaire, très développé au Brésil, ont ainsi été explorées et expérimentées à la télévision et au cinéma.
Les films produits durant la période dite de la renaissance du cinéma brésilien (de 1995 à 2002) ont bénéficié des subventions accordées par la loi sur l’audiovisuel (en 2002 c’est une trentaine de films produits). De manière générale, ces films utilisent des éléments esthétiques issus des langages télévisuel et publicitaire ; ils sont des coproductions entre le cinéma, la télévision et des sociétés de production indépendantes ; ils favorisent un dialogue entre fiction et réalité ; et ils abordent des thèmes liés à la violence, principalement urbaine, mais aussi rurale. L’utilisation des problèmes sociaux comme thème dans les films et les séries télévisées s’est intensifiée avec la crise sociale et la montée de la pauvreté et de la violence urbaine qui en ont résulté au Brésil dans les années 1990. Luis Oricchio dans on ouvrage Cinéma de novo (2003) qualifie de « cinéma impur » les films qui se situent à la croisée des langages du cinéma, de la télévision et de la publicité, qui traitent de questions sociales et politiques et qui sont également ouverts au dialogue avec le cinéma hollywoodien.
De nombreuses productions cinématographiques – fictions et documentaires – utilisent la favela comme toile de fond. Bia Colucci dans Documentário brasileiro contemporâneo e violência urbana souligne le rôle important des contextes historiques et sociaux brésiliens dans l’élaboration d’un discours artistique et critique sur la violence. Elle analyse les transitions entre les images issues de différents médias (film, vidéo et photographie) comme un dialogue entre les langages cinématographique et télévisuel, et comme une volonté de renouveler le cinéma par l’intégration de procédés fictionnels au documentaire. Elle affirme également que ces films peuvent être analysés comme une ethnographie audiovisuelle de la violence urbaine au Brésil durant cette période, car ils ont été conçus comme une observation ethnographique « centrée sur la construction d’un regard partagé, fruit de l’interaction et de la confrontation entre des mondes culturels distincts ».
La représentation de l’extrême pauvreté et de l’oppression a toujours figuré au programme du cinéma brésilien. Dans les années 1960, les zones rurales, les favelas et les banlieues constituaient les principaux décors de nombreux films du Cinema Novo, qui dévoilaient un autre Brésil, celui que les médias traditionnels ne montraient pas. Le grand chef de file du Cinema Novo était Glauber Rocha, qui affirmait dans son manifeste Uma Estética da Fome (Une esthétique de la faim), écrit en 1965, que le cinéma devait adopter une approche incisive pour exposer véritablement l’extrême pauvreté.
Dans son manifeste, Rocha dénonce l’impuissance du Brésil face au colonialisme, montrant que le pays est passé d’un colonisateur à l’autre et critiquant le paternalisme des pays développés envers l’Amérique latine. Rocha s’attache à montrer la souffrance sans recourir au folklore, au paternalisme ou à un humanisme résigné. Il affirme que la faim en Amérique latine n’est pas seulement un système alarmant ; elle représente le cœur même de la société. Il dit ceci : “C’est là que réside l’originalité tragique du Cinema Novo par rapport au cinéma mondial : notre originalité, c’est notre faim, et notre plus grande souffrance, c’est que cette faim, bien que ressentie, reste incomprise… Le Cinema Novo a narré, décrit, poétisé, disserté, analysé et exalté les thèmes de la faim : des personnages mangeant de la terre, des personnages mangeant des racines, des personnages volant pour manger, des personnages tuant pour manger, des personnages fuyant pour manger, des personnages sales, laids, émaciés, vivant dans des maisons sales, laides et sombres.”
L’un des principaux arguments de Rocha concerne la représentation de l’extrême pauvreté sous une forme révolutionnaire, afin de sortir le public de sa torpeur. Pour répondre à cet impératif, Rocha a créé une « esthétique de la violence », qui présente des images insoutenables pour déconstruire les clichés sur la pauvreté et déjouer les attentes des spectateurs. À cet égard, il est important de souligner que Rocha défend une esthétique de la violence et non la violence esthétisée à laquelle nous sommes habitués à la télévision ou au cinéma.
La chercheuse brésilienne Ivana Bentes, en 2001, soulève des questions concernant les films de la Renaissance brésilienne au regard du manifeste de Rocha. Elle soutient que ces films promeuvent ce qu’elle appelle une « cosmétique de la faim », et non une esthétique de la faim, et que, de ce fait, ils n’engagent pas le dialogue avec les questions fondamentales posées par le Cinema Novo. Selon elle, le cinéma brésilien n’a pas mûri au cours de son histoire et a vulgarisé la représentation de la misère et de la violence en recourant aux techniques télévisuelles et publicitaires. Bentes affirme que Rocha s’est affranchi du réalisme critique et du récit classique pour créer une sorte d’apocalypse esthétique et secouer le public de sa léthargie. Par comparaison, elle soutient également que les films produits au Brésil durant la Renaissance brésilienne manquent de perspective politique et d’expérimentation esthétique. L’opinion de Bentes a suscité une vive controverse et ouvert le débat parmi les producteurs, les critiques et les universitaires.
La sortie de La Cité de Dieu en 2002, film devenu pour de nombreuses raisons une référence du cinéma brésilien, a déclenché une discussion passionnée. Le film est inspiré de faits réels et adapté du livre éponyme de Paulo Lins, qui a vécu vingt ans dans la favela où se déroule l’histoire. Il narre l’histoire des habitants de la Cité de Dieu depuis sa création dans les années 1960, à travers le regard de son personnage principal, Buscapé (Fusée). Ce dernier se remémore le passé pour construire le récit et livrer son témoignage sur les difficultés rencontrées par la communauté, sous l’emprise des trafiquants de drogue. Son histoire personnelle s’entremêle avec celles de personnages secondaires : Zé Pequeno, Dadinho, Bené, Cenoura, Cabeleira et Mané Galinha. Ainsi, le film dépeint la pauvreté et la violence subies par les enfants et les adolescents exclus de la société de consommation.
Bien que faisant appel à des acteurs non professionnels et s’inspirant de faits réels, le film dépeint la violence et l’exclusion subies par les habitants de la favela à travers des techniques qui transforment la cruauté en un spectacle saisissant. Armes à feu, drogue, vols et meurtres imprègnent le récit et dressent un tableau très négatif de la vie dans les favelas. Bien sûr, il y a la carte joker “c’est issu d’une histoire vraie”. Mais une histoire vraie ne fait pas une vérité générale. Bien évidemment que la vie dans les favelas est rythmée par des évènements tragiques et destructeurs mais voulons-nous réduire la population de ce microcosme à tout ce qu’on voit dans La Cité de Dieu ?
Plan Culte – Les recommandations du public
- Menace II Society — Albert & Allen Hughes (1993)
- La Cité des hommes (Cidade dos Homens) — Paulo Morelli (2007 – série)
- Booska-P — Fif Tobossi (2005 – musique)
- Clockers — Spike Lee (1995)
- Snatch — Guy Ritchie (2000)
- Le Gang des rêves — Luca Di Fulvio (2015 – roman)
- Je suis toujours là — Walter Salles (2024)
- Maîtres du jeu (Watch Rulers of Fortune) — Netflix (2022)
- Slumdog Millionaire — Danny Boyle (2008)
- Ônibus 174 (Bus 174) — José Padilha (2002)
- Griselda — Eric Newman & Ingrid Escajeda (2024)
- Boyz n the Hood — John Singleton (1991)
- Gomorra — Roberto Saviano & Leonardo Fasoli (2014–2021 – série)
- Arnaques, crimes et botanique (Lock, Stock and Two Smoking Barrels) — Guy Ritchie (1998)
- Do the Right Thing — Spike Lee (1989)





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