OUTSIDERS

4–7 minutes

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Un film de Francis Ford COPPOLA

  • Durée : 1h45
  • Pays d’origine : Etats-Unis
  • Date de sortie : 1983
  • Genre : drame

Avec Outsiders, Coppola livre un un portrait sombre et désabusé de l’Amérique des années 60, dans un film lyrique porté par une nouvelle génération de comédiens

Après le cuisant échec artistique et public de Coup de cœur, Coppola décide de se relancer en choisissant un genre très codifié du cinéma hollywoodien (le film de teenagers) et en revenant à des budgets modestes. Il tourne alors coup sur coup Outsiders et Rusty James, deux « petits films » mettant en scène une jeunesse américaine en quête de repères. Un retour à un cinéma plus classique, loin des expérimentations et des tournages épiques qui firent sa renommée mais qui précipitèrent sa chute.

Outsiders raconte ainsi une histoire simple de bandes rivales qui se détestent et s’affrontent au cœur de l’Amérique profonde. Si la mise en scène est plus discrète que dans ses précédents films, Coppola ne sacrifie en rien sa maitrise formelle. Le magnifique cinémascope, combiné à des éclairages travaillés et une bande-son très rock, créent une ambiance urbaine romantique qui mélange dans un même mouvement lyrisme et brutalité. Constamment sur le fil du rasoir, le film retourne les clichés de « l’americana » et dresse au final le portrait contrasté d’une jeunesse perdue et un peu naïve, à la recherche de son identité.

A sa sortie, Outsiders suscite des critiques mitigées, notamment aux Etats-Unis, mais rencontre un beau succès public. Il restera surtout comme le film ayant révélé une brochette de jeunes comédiens tous débutants à l’époque. et devenus des stars mondiales (Matt Dillon, Tom Cruise, Patrick Swayze, Claire Danes, Emilio Estevez).

La critique du Poulpe (par Séraphin)

Une jeunesse d’or et de patine

De Francis Coppola on retient souvent les titres Le Parrain, Conversation secrète, ou Apocalypse Now. Mais au début des années 1980, le cinéaste traverse une période fragile. Après les ambitions démesurées d’Apocalypse Now et l’échec commercial de Coup de cœur, il se retrouve dans un moment de vulnérabilité artistique et financière. C’est précisément dans ce contexte que naît The Outsiders, comme un geste à la fois modeste et profondément sincère. Loin de la fresque monumentale, Coppola choisit un récit adolescent, une adaptation populaire qu’il aborde pourtant avec le même sérieux esthétique que ses films les plus colossaux.

The outsiders apparaît alors comme une respiration, mais une respiration habitée ; une manière pour le cinéaste de renouer avec ce qui irrigue toute son œuvre : la famille, l’appartenance, la loyauté et la place de l’individu face à un groupe. Ces thèmes, omniprésents dans Le Parrain ou Rusty James, trouvent dans The Outsiders une déclinaison plus douce, plus fragile, presque mélancolique. Le cinéaste observe la jeunesse comme un territoire où naissent les mêmes conflits que dans ses sagas d’adultes, mais avec une lumière différente, plus vacillante.

Il y a dans le film une vibration particulière. Coppola filme ces adolescents avec le regard qu’on porte sur un souvenir lointain. Tout semble stylisé, presque rêvé. L’écriture visuelle du film, profondément marquée par la nostalgie, s’éloigne du réalisme brut. La lumière est la première dépositaire de cette mémoire recomposée : ciels flamboyants, contre-jours dorés, halos crépusculaires qui enveloppent les silhouettes. On y reconnaît l’esthétique volontiers opératique du cinéaste, mais transposée dans un contexte social modeste, ce qui crée une tension fertile entre le lyrisme et la rudesse du quotidien.

Cette stylisation, typique de Coppola, renvoie à son obsession de faire du cinéma un lieu de mythologie intime. Comme il avait transformé la mafia en tragédie shakespearienne ou la guerre du Vietnam en odyssée fiévreuse, il magnifie ici des rivalités adolescentes pour leur donner la dimension de figures fondatrices. Chaque plan ressemble à une image-souvenir, une icône de ce que l’Amérique pense être sa propre adolescence : garages, terrains vagues, couchers de soleil saturés, façades essoufflées. L’utilisation récurrente de la fumée agit comme une matière poétique, une brume où le réel se trouble et se charge de symboles. Coppola cultive un art du cadre qui ne cesse de chercher la beauté picturale. Les plans larges, soigneusement composés, donnent à ces jeunes marginaux une stature presque héroïque, comme si leur fragilité méritait d’être amplifiée par l’image. Le cinéaste refuse le naturalisme sec : il préfère une vérité émotionnelle, qui passe par les couleurs, la texture de la lumière, la façon dont un visage est caressé par un rayon doré. La forme devient un prolongement des sensations intimes.

Sur le plan thématique, le film dialogue discrètement avec toute l’œuvre de Coppola. On retrouve cette interrogation sur les groupes qui façonnent l’individu : comme chez les Corleone, les Greasers sont un clan, avec ses codes, ses solidarités, ses refuges fragiles. On retrouve aussi la fascination pour les personnages au seuil – seuil de l’âge adulte ici, seuil du pouvoir ou du désastre ailleurs. Ponyboy est un héritier malgré lui, comme Michael Corleone, comme Rusty James ; un jeune homme qui doit naviguer entre loyauté et désir d’émancipation, entre appartenance et aspiration à un ailleurs. L’écriture du film insiste sur cette tension, en multipliant les moments suspendus, les respirations, les regards. Coppola laisse le récit se déployer sans urgence, préférant une temporalité flottante qui épouse l’instabilité émotionnelle des personnages. C’est un cinéma du frémissement, qui croit aux états d’âme autant qu’aux événements.

Dans sa forme comme dans son fond, The Outsiders apparaît alors comme un film d’une douceur inattendue dans la carrière de Coppola, un film qui préfère la tendresse aux éclats, la lumière aux ombres écrasantes. C’est une œuvre où l’adolescence devient un mythe personnel, où chaque image vise moins à représenter le réel qu’à fixer ce qui, dans la mémoire, se colore, se dramatise, se magnifie.

En revisitant ce film aujourd’hui, on y voit un Coppola qui cherche à retrouver la pureté du regard, à filmer la jeunesse comme un territoire intérieur. The Outsiders est un poème visuel, un fragment d’Amérique rêvée, un rappel que même dans ses œuvres les plus petites, Coppola s’attache à donner du sacré au quotidien. Un film qui, sous l’apparence d’une chronique adolescente, continue de rayonner comme l’un de ses paysages les plus intimes.

Plan culte – Les recommandations du public

  • Stand by me (Rob Reiner)
  • Les guerriers de la nuit (Walter Hill)
  • Grease (Randal Kleiser)
  • La fureur de vivre (Nicholas Ray)
  • West side story (Steven Spielberg)
  • Foxfire (Roman de Joyce Carol Oates)

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